Albert Figg et les élèves de 2de, 1re et Terminale Techniciens Chaudronnerie Industrielle du lycée Marcel Mézen d'Alençon


Débarqué le 24 juin, Albert FIGG évoque « sa guerre d’artilleur » et les premiers contacts avec une population locale qui ne fut pas toujours accueillante…

Quel accueil avez-vous reçu de la population locale ?

Mes premiers contacts n’ont pas été bons. Les gens nous en voulaient, et c’était compréhensible, parce que nous avions bombardé et tué beaucoup de Français au moment et à la suite du Débarquement. Certains fermiers étaient les plus hostiles parce qu’ils avaient perdu presque tout leur bétail. En plus, on les volait pour améliorer notre nourriture essentiellement faite de conserves : lait en poudre, oeufs déshydratés, biscuits, pas de pain…
Une fois, j’étais rentré dans un poulailler voler les oeufs, puis dans un champ pour traire une vache. Je venais de finir de remplir ma tasse en fer quand le fermier est arrivé en hurlant et brandissant ce que de loin je croyais être un fusil.

« Ces sales Anglais »


Tout ce que je pouvais comprendre, c’était : « ces sales Anglais. » Je me suis sauvé. Alors que je m’approchais de mon canon, je suis tombé, j’ai renversé tout mon lait et cassé les oeufs que j’avais
mis dans ma poche. J’étais tellement furieux après ce fermier qui venait de m’empêcher d’avoir enfin un petit déjeuner décent que j’ai ramassé mon fusil, l’ai mis en joue et tiré un coup en l’air. Le
pauvre homme a lâché son « fusil » (en fait un bout de bois comme je m’en suis rendu compte en revenant dans le champs) et s’est enfui à toutes jambes, persuadé que j’allais le tuer. Maintenant vous comprenez mieux pourquoi les fermiers n’étaient pas contents.

Pourtant, vous étiez les libérateurs ?
Albert Figg en 1944.

Bien sûr, et depuis, j’ai pu mesurer toute la gratitude des Normands. Je tiens d’ailleurs à les remercier au nom de tous les vétérans pour le merveilleux accueil que nous recevons à chacun de nos retours en France, et aussi pour le respect témoigné, à travers le soin attentif porté aux lieux de mémoire, à tous nos camarades enterrés ici.

« Moi, c’est l’héroïsme des Résistants que je n’ai jamais oublié »

J’ai aussi remarqué que vous nous qualifiez de « héros » : je ne me suis jamais considéré comme un héros. Nous étions simplement des libérateurs venus faire notre devoir. Moi, c’est l’héroïsme des Résistants que je n’ai jamais oublié. Le fil de cette généreuse hospitalité ne s’est jamais interrompu, et cela sans nous adresser une plainte envers les pertes dues à nos bombardements et à nos tirs d’artillerie auxquels j’ai donc moi-même contribué. Malheureusement, les instruments de la guerre sont bien incapables de distinguer l’ami de l’ennemi : c’est cela l’horreur de la guerre…

Avez-vous tué quelqu’un ?

Je ne sais pas vraiment. Je sais que cela peut paraître drôle d’être un combattant et de n’avoir jamais vu un soldat mort. Mais avec le canon 150 millimètres dont j’avais la charge, j’étais positionné à l’arrière : je tirais six kilomètres derrière la ligne de front. En fait, je n’ai jamais vu d’ennemis durant le combat, mais des prisonniers de guerre, une fois que les tirs avaient cessé.

De ne pas savoir, cela vous fait quel effet ?


Rien de particulier, car je n’ai jamais pensé à cela.

Quel était votre sentiment à l’égard des soldats Allemands ?

J’en ai rencontré beaucoup, il m’est même arrivé de leur serrer la main, mais ils étaient tous de la Wehrmacht : des soldats ordinaires. Ceux-là n’étaient pas différents des Anglais. Ils obéissaient aux ordres : s’ils ne se battaient pas ou s’enfuyaient, ils étaient fusillés. Les seuls Allemands que j’ai haï, ce sont les nazis. Eux ont commis des meurtres systématiques atroces comme l’assassinat des résistants de la Prison de Caen, en représailles au Débarquement. Ils ont abandonné les cadavres dans la cour pour que nos troupes les enterrent.