Maurice Etynger et les élèves du Lycée Victor Lépine de Caen


Maurice Etynger a traversé la Seconde Guerre mondiale entre Paris et la Normandie. L’adolescent juif a vécu le Débarquement et la Libération à Danvou la Ferrière, caché dans la famille de son ami Henri Calbris.

Pourquoi votre famille est-elle venue en France ?
 Ma famille est originaire de Pologne. Mes grands-parents étaient entrepreneurs en menuiserie du côté de ma mère et marchands de bestiaux du côté de mon père. Mes parents se sont mariés en 1923. L’année suivante, fuyant la pauvreté et l’antisémitisme, ils ont quitté la Pologne et sont arrivés à Paris. Mon père a trouvé du travail dans la confection avant de devenir commerçant. Bien intégrée, ma famille se plaisait dans son quartier aux côtés de Juifs polonais mais aussi d’Arméniens, de Hongrois, d’Italiens ou de Républicains espagnols.

Comment avez-vous vécu les débuts de la guerre ?
La vie de notre famille a basculé avec l’Occupation. Mon père a été raflé très tôt, en 1941. Enfermé à Drancy, il a été finalement libéré le 4 novembre 1941 avec d’autres « grands malades ». Malgré les colis, il « crevait » de faim et avait perdu près de 20 kilos… Nous avons alors pris conscience du danger, contrairement peut-être à d’autres familles juives qui se croyaient à l’abri parce que françaises. Mon père qui avait vu comment on pouvait traiter les Juifs, alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher, a appris à se méfier de la police française ! Au printemps 1942, je portais l’étoile jaune qui désignait les Juifs. Nous continuons d’aller à l’école, mais dans la peur.

Racontez-nous votre arrivée à Danvou-la-Ferrière.
À la veille de la grande Rafle du Vel' d'hiv' du 16 juillet 1942, nous avons appris que les femmes et les enfants seraient aussi ramassés. Nous sommes partis nous cacher en banlieue à la Villa Jeanne d’Arc, une pension de famille de Montmorency (Seine-et-Oise). Après avoir vécu quelques temps dans une institution catholique où nous allions à la messe tous les jours, je suis retourné à Paris avec mes soeurs. Mes parents sont restés en banlieue. C’était trop dangereux à Paris pour les adultes de confession juive. J’ai alors rencontré Henri Calbris par l’intermédiaire d’un ami commun. Je suis partichez lui en Normandie en avril 1944 avec l’accord de mes parents. A Danvou, pour me protéger, on me faisait passer pour le petit Parisien venu pour bien manger. J’ai alors 15 ans.

J’ai retrouvé mes parents sains et saufs

Maurice Etynger et Henri Calbris sur la côte après guerre.
Comment avez-vous vécu cette période loin de vos parents ?
Mon séjour en Normandie a été un sacré changement. J’ai appris à traire les vaches et plus généralement à aimer les bêtes. J’ai réalisé combien le cheval était important, c’était vraiment un « outil » de travail indispensable pour les paysans de l’époque. Je m’entendais bien avec Henri et puis c’était très calme. Comme j’avais l’habitude de me débrouiller seul et que la famille m’a bien accueilli, je n’ai pas le souvenir d’avoir trop souffert de cette séparation.

Après le Débarquement, quand êtes-vous retourné à Paris ?
Danvou a été libéré le 5 août 1944, dans une joie indescriptible. Mais ce n’est que le 11 septembre 1944 que j’ai retrouvé mes parents et mes soeurs, sains et saufs. L’appartement était en bon état car mes deux soeurs avaient continué à l’habiter, mais le magasin de vêtements avait été pillé. Par contre, mon meilleur ami Léon Wodnicki, raflé en 1942, a été assassiné par les nazis. Si des dizaines de milliers de Juifs ont été sauvés, dont certains en Normandie, c’est grâce à des anonymes qui étaient révoltés de voir ce qui se passait. J’espère qu’Henri Calbris qui était quelqu’un de bon, profondément bon, sera reconnu « Juste parmi les Nations » par le Mémorial Yad Vashem des victimes juives de la Shoah.