André Heintz et les élèves du Lycée Malherbe de Caen


« Les dés sont sur le tapis » : le 5 juin au soir, à l’écoute de BBC sur son poste à galène, André Heintz entend un message codé annonçant l’imminence du Débarquement. Depuis quatre ans qu’il est entré dans la Résistance, il ne vit que pour ce moment.



André Heintz a grandi à Caen et fait ses études au lycée Malherbe. Après un passage au lycée Henri IV à Paris, il intègre l’université caennaise où il obtient sa licence d’anglais. Il n’a que 20 ans quand il rejoint la Résistance : « Je me suis promis de lutter contre l’occupant tellement je ressentais la honte d’être sous la domination de l’ennemi héréditaire, surtout en tant que membre d’une famille d’origine alsacienne. » Il est recruté par un aumônier polonais, l’abbé Makulec, chargé par les Anglais d’organiser la résistance, qui lui glisse au cours d’un repas : « André, écoutez bien, il faut qu’on tue chacun trois Allemands si on ne veut pas une autre guerre après celle-ci. »
C'est le début de nombreuses missions de renseignement pour différents groupes de résistants. Conscient des risques qu'il encourt en cas d'arrestation, André Heintz protège sa famille en lui cachant son action clandestine. Il communique ainsi de  nombreuses informations sur les faits et gestes des forces allemandes, notamment à l’aéroport de Carpiquet ainsi que sur les défenses ennemies installées le long des plages. Il fournit également de fausses cartes d’identité pour des pilotes anglais cachés en Normandie ou pour des jeunes hommes réquisitionnés pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne. Il s’est lui-même soustrait à l’appel du STO en se faisant embaucher comme professeur d’anglais à l’Institut Saint-Joseph avec la complicité du directeur. C’est là qu’en avril 1944, son chef vient lui indiquer les messages codés qui doivent annoncer le Débarquement : « N’écris rien, apprends par coeur, m’a-t-il ordonné. Il me faisait répéter pour être sûr que j’avais bien enregistré. »

André Heintz (debout) en juin 1944.
A 2h30, on a commencé à entendre du bruit 

Le 15 mai, il entend le premier : « Le jour du combat viendra ». Le 5 juin, vers 19h, c’est enfin l’annonce du Jour J. « A minuit, il n’y avait toujours rien et j’étais terriblement déçu surtout qu’on avait déjà été trompés par plusieurs fausses dates. Et puis à 2h30, on a commencé à entendre du bruit du côté de la mer. Ma mère m’a demandé si ce n’était pas le Débarquement qui commençait. Mais je ne pouvais rien dire. Comme ça semblait s’être calmé, on est retourné chacun dans notre chambre. » Mais une heure plus tard, le déluge de bombes ne permet plus de douter : « Des avions par centaines lâchaient des fusées lumineuses : on voyait comme en plein jour. J’ai dit à ma mère qu’il fallait qu’on se dépêche de cuire de la viande et de faire des réserves d’eau potable. » Sage précaution : à 4 heures du matin, l’eau, le gaz et l’électricité sont coupés. L’électricité ne reviendra qu’en décembre, le gaz et l’eau plus tard encore. « Il y avait tellement de décombres qu’on ne pouvait pas acheminer les tuyaux. »
Au matin du 6 juin, dès que les bombardements ont cessé, le résistant file au milieu de la ville en flammes intégrer les équipes d’urgence de la Croix-Rouge pour dégager les corps, soigner les blessés, identifier et enterrer les morts : « Nous transportions les innombrables blessés sur tout ce que nous trouvions, des volets par exemple. Beaucoup sont aussi morts sous les bâtiments effondrés. On a fouillé les gravats pendant presque trois semaines. Je me souviens aussi d’un téléphone qui sonnait de temps en temps au milieu des ruines. On décrochait et il n’y avait personne au bout. Plus tard, des soldats anglais m’ont demandé de leur indiquer l’hôtel d’Angleterre. Je leur ai répondu que pour cela il aurait fallu qu’ils ne le démolissent pas…» On ne sait si les Anglais ont goûté cet humour. En tout cas, ils ont apprécié la maitrîse de la langue : André Heintz est recruté comme interprète du Colonel Usher et participera à l’organisation de l’aide aux populations civiles aux côtés des officiers britanniques et des autorités municipales.