Charles Delamare et les élèves du Lycée Marcel Gambier de Lisieux


Charles Delamare a passé ses années de collège sous l’Occupation. En 1944, il a 16 ans lorsqu'il rencontre son premier libérateur à Vauville. Une rencontre brutalement interrompue...

Charles Delamare dans les ruines de Caen.
Quels sont vos souvenirs de la période d'Occupation ?
A la maison, on ne parlait que de la guerre. Si en tant qu'enfant, je n'avais guère le droit à la parole, j'entendais tout. Mon père avait perdu son travail au Casino de Deauville après la fermeture de tous les établissements de jeux, en 1939. Il retapait une ferme à Vauville, qui provenait d'un héritage de ma mère, jusqu'au jour où l'armée allemande a décidé de s'y installer, en juin 1940. Cinquante soldats vivaient dans le corps de ferme. L'année suivante, ils ont été envoyés sur le Front de l'est et nous avons quitté Touques pourhabiter Vauville. A la campagne, on avait de quoi manger, ce qui n'était pas le cas des gens de la ville. Mes parents m'ont envoyé comme pensionnaire dans un collège de Jésuites à Evreux. Là-bas, on mangeait très mal. On était rationnés sur le pain, le beurre, la viande. Je gardais précieusement le pain pour tenir jusqu'au soir.

Quels ont été vos contacts avec les Allemands ?

Parmi les soldats qui habitaient dans notre ferme à Vauville, je me souviens d'un soldat prussien, très brun, qui parlait Français. Il s'installait dans la cuisine, préparait le repas de l'officier supérieur et se réservait toujours une portion trois fois plus importante. C'était un brave type. Ce sont de petites choses, dans de grands événements, qui marquent nos vies.

Comment avez-vous vécu la Libération ?

De ce côté-ci de la Touques, nous avons attendu plusieurs semaines après le 6 juin avant d'être libérés. La 6e Division aéroportée britannique a libéré Tourgéville et Vauville. On était bien contents d'être libérés, mais on aurait bien voulu que ce soit de façon plus calme. La population normande n'a peut-être pas réservé à ses libérateurs un accueil aussi enthousiaste qu'à Paris, parce qu'elle a payé un lourd tribut. C’était un soldat de 20 ans, il s’appelait Cliffe.

La tombe du soldat anglais Cliffe
dans le cimetière de Vauville.
Et vos contacts avec les Libérateurs ?
Ils étaient très gentils. Ils offraient des cigarettes, du chocolat, et en échange, nous leur donnions du lait et du beurre. Je me souviens de ma rencontre avec mon premier libérateur, le 22 août 1944. C'était un soldat de vingt ans, il s'appelait Cliffe, qui était arrivé à Vauville en suivant la côte. J'ai parlé avec lui pendant sept minutes. Il était très heureux, moi aussi, et nous sommes aussitôt devenus amis. Mais moins d'un quart d'heure plus tard, il a eu la gorge tranchée par un éclat d'obus. Anglais et Allemands, retranchés de part et d'autre de la Touques, continuaient de se battre. J'ai écrit un poème sur cet « ami de sept minutes », enterré au cimetière de Vauville.

Quels sont vos sentiments aujourd'hui à l'égard des Allemands ?
Ce sont nos amis. Ils ont été entraînés dans une succession de guerres. N'oublions pas que la France les a envahis à plusieurs reprises. A l'époque, on mettait à sac le pays. Cela a créé beaucoup de malheurs. La guerre peut revenir, et avec l'arme nucléaire, elle serait bien plus terrible aujourd'hui. Il ne faut pas recommencer les erreurs d'autrefois.