Jean-Marie Girault et la classe ABIBAC du Lycée Allende de Hérouville Saint-Clair


En intégrant les équipes d’urgence dès le 6 juin, Jean-Marie Girault devient un adulte de 18 ans. Cet engagement sera fondateur du parcours du futur Sénateur Maire qui sera à l’initiative du Mémorial de Caen.



Avant le Débarquement, connaissiez-vous des résistants, avez-vous vous-même participé à des actions de résistance ?J’étais un adolescent et avec les copains, nous ne savions pas vraiment quoi faire. Nous ne connaissions pas les résistants car il va de soi qu’ils évitaient de se faire repérer. En outre, on se méfiait de ceux qui donnaient l’impression d’être du côté des Alliés : certains étaient en fait des dénonciateurs. Un jour, nous avons crevé les pneus des voitures stationnées devant l’Ortskommandantur, l’administration allemande de la ville. On avait eu la chance de ne pas se faire coincer. Nous cherchions à faire des actions plus « résistantes », mais nous étions trop jeunes et puis le Débarquement est arrivé.

Comment l’avez-vous vécu ?
La nuit, j’étais monté au grenier de notre maison rue Pasteur dès que j’avais entendu les premiers bruits d’avions et de bombardements. J’espérais voir quelque chose, mais je n’ai rien vu. Au matin, j’ai écouté la radio anglaise qui confirmait le Débarquement. On attendait depuis si longtemps que nous espérions que la libération de Caen aurait lieu le jour même... Il a fallu attendre plus d’un mois et les bombardements ont duré jusqu’au 5 juillet. Vous vous engagez alors dans les équipes d’urgences de la Croix Rouge…
Elles avaient pour tâche de secourir les blessés, enlever les morts, trouver de la nourriture et bien sûr déblayer. Cela nous a conduits à piller les magasins où l’on a découvert des réserves alimentaires. Nous avons installé notre « état-major » au rez-dechaussée du Lycée Malherbe, soit l’actuel Hôtel de ville. Nous tenions un carnet de bord. Chaque jour, l’un de nous était chargé de noter l’heure de départ d’une équipe, sa mission, sa destination, l’identité de ses membres, puis son heure de retour, les détails de la mission accomplie et si elle ramenait des provisions ou des objets qui pouvaient être utiles. Ce carnet de bord existe toujours. Il doit se trouver dans les archives du Mémorial de Caen. Tous les noms des équipiers d’urgence et les missions qu’ils ont accomplies, y compris la traite des vaches dans la prairie, y sont consignés.

« Les copies du bac ont brûlé avec l’Université. » 
Jean-Marie Girault à 18 ans.

Je me rappelle en particulier d'un sauvetage, rue Desmoueux, d'une famille qu'on disait enterrée sous les ruines de sa maison. Nous avons entendu une voix qui appelait au secours. C’était le père. Pendant qu’on essayait de l’extraire, il fulminait : « Vous faites exprès de ne pas aller vite, vous voulez qu'on meure ! » C’était impensable ! Finalement nous avons réussi à le sortir ainsi que deux de ses enfants encore en vie, le reste de la famille avait péri.

Quelle leçon avez-vous tirée de cette expérience ?
Outre la connaissance des hommes, j’ai retenu la confraternité née de la solidarité qu’on avait mise en œuvre d’une façon naturelle. On n’avait pas besoin de se dire « c’est mon devoir », ça allait de soi.
Et puis, après avoir été confronté à autant de drames et de situations incroyables, j’étais devenu un adulte à 18 ans. Mon adolescence s’est achevée dans ces ruines. Cela a été extrêmement formateur et quand on a repassé le Bac en septembre, les copies ayant brûlé en même temps que l’Université, on a tous été reçus. Sans doute, nos aînés qui nous corrigeaient avaient tenu compte des circonstances et de ce qu’on avait fait.