Raymond Ciroux et les élèves de 1re L du lycée Alain d'Alençon


Entré dans la Résistance dès l’âge de 15 ans, Raymond Ciroux connut la dénonciation et la détention. Il participa à la libération d’Alençon au côté de la 2e Division blindée. 

 Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la Résistance ? 
 J'étais jeune et j'avais eu la chance, si on peut dire, de lire Mein Kampf, et de savoir ce que les Allemands entendaient faire des Français. Hitler disait que nous avions du sang impur, que la France resterait l'ennemie impitoyable de l'Allemagne et qu’il faudrait la détruire. Autrement dit, il préparait son peuple à la guerre contre nous. Dans l’Orne, la Résistance avait peu d'ampleur, car Alençon était une petite ville et le département comptait très peu d'industries. Il n'y avait aucune transmission radiophonique, seulement du bouche à oreille.

À l’époque, réalisiez-vous les dangers encourus ?
 Ah oui ! Il y avait beaucoup de dénonciations. Les agents de la Gestapo représentaient une minorité infime qui n’aurait pas pu faire grand chose sans dénonciations. Pour se débarrasser de la femme, on dénonçait l’homme, et inversement. J'ai moi-même été arrêté sur dénonciation en 1942, comme pratiquement tous les Résistants de l’Orne, dont notre commandant Daniel Desmeulles.

Alençon libéré sans un coup de feu.
Alençon est libéré. La foule en liesse accueille les Alliés ©USArmy/Mémorial de Caen

Comment avez-vous vécu le Débarquement et la Bataille de Normandie ? 
Repéré quelques mois plus tôt par la Gestapo, je m’étais caché en région parisienne, où j’ai échappé à plusieurs rafles. Quand j’ai rejoint Alençon en août 1944, je fus ainsi le seul à participer à la Libération au côté de la 2e DB. Le 12 août, je guidais la colonne blindée sur Alençon où nous sommes parvenus vers 4 heures du matin. Seul dans la nuit, comme je l’avais promis au Général Leclerc, j'allais reconnaître le Pont Neuf qui n'était ni défendu, ni miné. Ainsi Alençon était libéré sans un coup de feu.

Votre perception des Allemands pendant la guerre est-elle la même qu'aujourd'hui ? 
Non. À ce moment-là, les Allemands étaient nos ennemis, mais quand j’ai été arrêté et que le commandant allemand de la place d'Alencon m’a sauvé la vie, mon regard a vraiment changé. J’ai compris que l'Allemagne était un pays de gens très cultivés, qui malheureusement s’étaient laissés endoctrinés. Depuis, mon regard est resté le même, car l'Allemagne est aujourd'hui une grande nation qui est toujours notre amie.

 Crise économique, résurgence de l’antisémitisme : craignez-vous que le contexte actuel puisse conduire à une 3e Guerre mondiale ? 
Je pense effectivement que ça peut recommencer parce qu'il y a encore des extrémistes de gauche et de droite, comme en 1939, qui souhaiteraient que ça recommence. Actuellement, les Français n’ont plus confiance dans la politique et personne ne peut dire comment va se terminer la crise économique. Dans ce contexte, il y a un vrai risque de résurgence des extrêmes. Il faut y réfléchir.

Referiez-vous ce que vous avez fait ? 
Je crois. Il ne faut pas oublier ce qu’il s'est passé : 65 millions de morts à cause du fascisme ! Malheureusement, comme l'a dit Brecht, « il est fécond ce ventre d'où peut ressortir la bête immonde ». Hitler fut élu par le peuple allemand, comme Pétain fut approuvé par le peuple français. Les beaux parleurs vous racontent n'importe quoi : essayez toujours de savoir ce qu'il y a derrière leurs paroles. C’est votre rôle, à vous les jeunes et professeurs, de maintenir le souvenir pour éviter la situation épouvantable qu’on a connue.