Adolfo Kaminsky et les élèves du Lycée Marie Curie de Vire


Enfant de Vire, Adolfo Kaminsky a échappé de justesse à la déportation vers les camps de la mort. Engagé dans la Résistance, il a sauvé des milliers de vies en fabriquant des faux papiers.

Quelle idée vous faisiez-vous de la Résistance avant 1944 ?
C’était un grand espoir. Tous les jours à la teinturerie où je travaillais à Vire, il y avait Radio Londres à l’heure du déjeuner. La population viroise était majoritairement pour la Résistance. Il y avait une entraide qui ne disait pas son nom. C’est pour cela que je reste très attaché à cette ville. Bien sûr, ce n’était pas toute la population, mais la majorité des gens étaient des Français avec un grand F.

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la Résistance ?
C’était une chance pour moi de pouvoir sauver des vies. Quand on est le seul survivant d’un camp et quand on sort de Drancy, alors que les autres y restent, il y a une culpabilité du survivant très lourde. Ça, je n’en suis pas encore sorti d’ailleurs… Seulement, je ne pouvais pas ne pas voir ce qui se passait et j’ai eu la chance de pouvoir agir. Si je n’avais pas pu faire tout ça, je n’aurais pas survécu.

Au moment où vous fabriquiez des faux-papiers, aviez-vous conscience d’accomplir quelque chose d’héroïque ?
Héroïque, non, mais vital. J’avais la chance d’avoir les techniques, de pouvoir les utiliser avec de faibles moyens. Une grande partie de ces faux-papiers était bricolée ; ils m’ont permis de passer inaperçu et d’aller jusqu’au bout.

Soixante-dix ans après, le livre et la pièce de théâtre écrits par votre fille vous ont fait passer de l’ombre à la lumière…
Cela a été très dur et très douloureux. Le livre comme la pièce ont réveillé une grande douleur. À Drancy, dès qu’il y avait mille personnes, il y avait un convoi qui partait. Un jour, je vois arriver un couple serré l’un contre l’autre : une femme très belle et un homme très beau, avec une barbe, qui lui donnait une grande prestance. Le lendemain, je vois cette femme qui tient par le bras un petit bonhomme au crâne rasé, à la barbe rasée. Il était déjà mort, moralement. Ils ont bien sûr été déportés. Voilà pourquoi je porte une barbe aujourd’hui. Et il y a d’autres traces de souffrance dont je ne peux même pas vous parler…


« Même la vie d’un ennemi mérite d’être respectée. »

Qu’avez-vous ressenti à la Libération ?
C’était un soulagement… et un regard très triste. Tout à coup, après la libération de Paris, tout le monde était résistant. Je vous garantis que pendant la guerre, on n’était pas nombreux. Et puis, c’était un retour en arrière. Tous ceux que j’aimais avaient disparu.

Comment avez-vous fait pour ne jamais vous tromper idéologiquement ?
Pour moi, l’être humain passe avant tout. Même la vie d’un « ennemi » mérite d’être respectée. Ce n’est pas en tuant des gens que l’on gagne une cause. On doit faire autrement.

Éprouvez-vous encore une haine contre les Allemands ?
Non, je n’ai jamais eu de haine contre les Allemands, mais contre les nazis. Le peuple allemand n’a pas été responsable ; il y a eu un fou, qu’ils ont suivi sans réfléchir. Aujourd’hui, dans le monde, les gens existent plus à titre individuel, se posent des questions, mais n’acceptent pas tout comme une religion. Je suis optimiste, parce que beaucoup de personnes de ma génération sont très conservateurs, mais la jeunesse, elle, ouvre les yeux.