Jeannine Henry-Diesnis et les élèves du Lycée Alexis de Tocqueville de Cherbourg



Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate Jeannine Diesnis a dix ans. Pendant quatre ans, la fillette vit des moments terribles entre Cherbourg, Landemer et Rouen. Une vie d’exode au milieu des bombes.



« A la veille de la déclaration de guerre, le ciel rouge ne laissait présager rien de bon. Nous avons vu les premières maisons s'écrouler sous la force des bombardements. Les morts et les arrestations ont alors défilé sous mes yeux d’enfant. Dans la panique, ma famille a fui à bord d’une carriole tirée par un vieux cheval en emportant l’essentiel.
Nous sommes arrivés à Landemer, à quelques kilomètres de Cherbourg, pour nous mettre en sécurité avant l'arrivée de l’armée allemande. A cet endroit, il y avait aussi deux familles de réfugiés belges. Nous n’avions pas grand chose à manger : des pommes de terre et même une fois des mouettes. Après plusieurs mois, nous sommes revenus chez nous dans ce que j’appelle la « maison des souvenirs », à Équeurdreville.

« Tu vois, ma chérie, c'est le corps de ton frère, n'oublie jamais ça ! »

Jeannine enfant
« Tu vois, ma chérie, c'est le corps de ton frère, n'oublie jamais ça », m’a dit maman en me tenant par la main devant le corps recouvert d'un drap souillé de sang. J'étais pétrifiée, j'allais avoir douze ans. Il a été tué le 4 septembre 1941, alors qu'il relevait des plans à l'arsenal, où il était dessinateur. L'alerte s'est déclenchée au moment où les bombes ont été lâchées. Touché à l'abdomen, il est mort sur les marches de l'hôpital des armées à Cherbourg. Il avait 21 ans. Le jour de son enterrement, la sonnerie aux morts m’a glacée. Après la disparition de mon père (tué en opération commandée en 1930), j’ai aussi perdu ma soeur et mon beau-père. Nous avons eu trois décès en 1941.

« J’ai hurlé tout en renversant mon lait. »

« Vive la France, vive l’Angleterre, à bas Hitler! » C’est la dernière phrase prononcée par un Français devant trois jeunes SS dans l’épicerie où ma mère m’avait envoyée chercher du lait.
L’un des soldats lui envoya une rafale de balles dans le ventre. Il vida son chargeur sur ce pauvre homme et lui donna des coups de pieds dans les côtes, avant de lui donner le coup de grâce, d’une balle dans la nuque, avec son pistolet. J’ai hurlé tout en renversant mon lait. Un monsieur à côté de moi a alors mis sa main devant ma bouche.
Ensuite, ma mère m’a envoyée à Rouen chez mon oncle, gardien d’une propriété. Ce n'était pas un cadeau. Rouen étant un point stratégique pour les Alliés, les bacs étaient bombardés pour éviter que les Allemands ne continuent à les utiliser pour fuir par la Seine. En plus, comme Rouen était un noeud ferroviaire très important pour les Allemands, la ville était souvent bombardée. C’était horrible. Je me rappelle qu’un jour, alors que je pêchais, mon oncle m'a aidée à retirer mon hameçon coincé. Ce que je vis à ce moment me marquera toute ma vie. Le corps d’une femme était accroché et ce corps n'avait pas de tête. Pendant toute cette période, mon oncle a été un résistant. Je l’ai su bien plus tard.

« Le géranium sur la fenêtre »

A son bureau, après la guerre ;
chemisier confectionné dans un parachute blanc.
La veille au soir du Débarquement, mon oncle écoutait les messages personnels à la radio, et je me souviens de cette phrase « le géranium est sur la fenêtre. » A la suite de ce message, mon oncle nous a fait dormir dans la grotte…
Je me souviens encore des premiers Alliés en jeep, descendant le boulevard Gustave Flaubert, ils ne parlaient pas français, ils nous donnaient des chewing-gums, du chocolat. Après la libération de Rouen, en août 1944, j’ai retrouvé maman et ma « maison des souvenirs », à Équeurdreville, en compagnie de ma tante. Nous avions eu de ses nouvelles par la Croix-Rouge. Depuis cette époque terrible, je me suis engagée auprès des élèves pour délivrer un message de tolérance et au sein de la section locale de l’association du Souvenir français. »