André Legorjus et la classe de 1re Bac Pro Vente du CIFAC de Caen


De nombreux drames ont suivi la joie de l'annonce du Débarquement. A l'âge de l'insouciance, André Legorjus a souvent vu l'horreur. Même si quelques rares épisodes ont pu le faire sourire...

« Je n’étais pas Vichyssois et je voulais faire quelque chose alors j’ai intégré les Equipes nationales
formées début 44 dans la défense passive pour participer à des missions de sauvetage en cas de bombardement. Nous étions une cinquantaine de personnes : un mélange essentiellement d’ouvriers de différentes origines, d’étudiants et de « gamins » de 16-17 ans comme moi.
 
Des moments extrêmement durs

A Caen, dans un premier temps, on ne parlait pas encore de « Débarquement allié », mais seulement de « Débarquement britannique » car les premières informations sont venues de Ouistreham, du secteur de Sword où les troupes britanniques débarquaient. Leur avancée était appuyée de la côte par le Cuirassé Rodney. Il avait une telle puissance de feu qu’un de ses obus a détruit le clocher de l’église Saint-Pierre. Mon pire souvenir a été à l’occasion d’une mission pour dégager une femme rue de Geôle. On l’entendait appeler au secours sous les décombres. Un mineur de May sur Orne nous a aidés à faire une ouverture. Au bout d’un moment, notre progression a été bloquée par le corps d’une jeune fille sans vie qui obstruait le passage, nous empêchant d’atteindre sa mère. Nous n’avons pas eu
d’autres solutions que de découper la jambe de la jeune fille avec mon couteau !
Il y a eu beaucoup d’autres moments extrêmement durs comme la découverte de ces corps calcinés réduits à trois fois rien ou de voir, au petit matin du 8 juin, des bouts de chairs dans les arbres de la Place de la République après que des bombes étaient tombées dans des tranchées où s’étaient réfugiés les habitants.
 
Des clous, on est encore vivants !
André Legorjus tout juste engagé dans la Marine.

Ce soir-là, en 45 minutes, 2 500 tonnes de bombes ont été larguées sur Caen pour préparer l’attaque qui a conduit à la libération de la rive gauche le lendemain. Nous étions 12 en train de fêter l’anniversaire d’un camarade près de l’église Saint-Sauveur. Dès les premiers coups de tonnerre, on s’est réfugiés dans la cave du tonnelier d’à côté. Très vite l’entrée a été complètement bouchée par les débris. Il y avait avec nous le curé de Saint-Sauveur et une vingtaine de ses paroissiens. Le curé nous a dit : « Mes frères, nous allons tous périr, prions Dieu ! Notre dernière heure est arrivée ! » Et nous les jeunes, on a lui a répondu : « Des clous, on est encore vivants ! » Et on a commencé à dégager une entrée. J’ai été le premier à sortir, j’étais le plus jeune. Un jour, j’ai trouvé une valise dans les décombres. Le lendemain, une vieille dame qui avait appris cette découverte s’est présentée au lycée Pasteur où était installé notre QG. Quand je lui ai décrit son contenu, elle s’est exclamée : « C’est ma valise ! »

La valise d’une vieille dame, le coffre fort du curé…

Je lui ai remis et la vieille dame est repartie sans m’adresser le moindre merci. La valise était pourtant remplie de dollars de lingots et de pièces d’or ! Je n’ai jamais su si j’avais remis ce trésor à la bonne personne. Plus tard, mes collègues m’ont dit : « On n’avait pas un sou, tu aurais pu… » Non, je n’aurais pas pu faire ça. Nous avions la possibilité de piller autant qu’on voulait. Nous ne l’avons jamais fait sauf pour nous nourrir. On a dû aussi fracturer un coffre fort à coup de pioche et de barre
à mine au milieu des ruines du presbytère de l’église Saint-Jean. C’était à la demande du curé qui voulait récupérer les objets du culte. Et pendant que nous fracturions le coffre, deux policiers nous sont tombés dessus, nous prenant pour des pillards. Il a fallu que le curé explique qu’il était bien le curé et qu’il était à l’origine de ce « casse » qui n’en était pas un. Après, il nous a demandé de fracturer les troncs de l’église qu’il n’avait pu vider depuis le 6 juin. Il avait perdu les clefs. Heureusement, il y avait aussi des moments comme celui-ci mais durant cette période les occasions de s’amuser furent très rares. »