" On ne s'attendait pas à un tel déluge "


Engagée dans les équipes d’urgence dès les premiers instants de la Libération, Janine Hardy a été profondément marquée par la destruction de Caen.

« Mon frère, Pierre, était dans la résistance et nous avait prévenus de l’imminence du Débarquement. Quelques jours avant le 6 juin j’étais sur Lisieux, mon frère m’a appelé pour me dire « Rentre, le Débarquement va avoir lieu ! ». On s’attendait à un bombardement mais on ne s’attendait pas à un tel déluge. Entre le château et la rue Saint Jean, le bombardement a duré une demi-heure, il a tout ravagé. Dans la nuit, il n’y avait pas besoin de lumière tellement les bombardements sur la côte éclairaient comme en plein jour. Moi je n’avais pas peur, on se disait : « Dans quelques heures, on est libéré. » A 8 heures, dans le haut de la rue du Vaugueux, les estafettes anglaises sont arrivées, mais les troupes alliées ont été repoussées par les Allemands.

« Ça m’est tombé dessus ! »

Caen sous les ruines ©Mémorial de Caen
A 13h25, c’était les avions américains. On ne les a pas entendus arriver : ils étaient très haut, ça m’est tombé dessus. Par contre le bombardement de 17h20, c’était les Anglais et ils prenaient des risques. Je voyais l’avion qui piquait sur nous et les bombes descendre. Vous êtes là, vous ne pouvez rien faire. Après les bombardements, on est venu me chercher. « Viens vite, il faut dégager les ruines ». Je me suis mise dans les équipes d’urgence organisées par la Croix-rouge. Quand vous arrivez dans un quartier que vous connaissez bien et que ce n’est plus qu’un trou : il faut déblayer. Vous entendez les gens qui n’ont pas réussi à se dégager. Je vois encore une femme prise dans les décombres qui s’inquiète pour son bébé. La fillette est morte étouffée dans les bras de sa mère, pensant la sauver… On a besoin de vous, vous avez un brancard, vous voyez un blessé, vous allez vers lui, automatiquement, naturellement. Beaucoup de personnes ont été à ce moment-là très dévouées, grâce à elles nous avons eu de la viande, des couches, du lait pour nourrir les bébés.

« Je me suis transformée en mère-maçon. »

Tout le centre de Caen était démoli, je n’avais plus de maison, plus d’argent, plus de linge. Je suis restée dans les abris du lycée Malherbe jusqu’au mois de novembre. Alors je suis partie à Paris, moi qui quittais mes ruines et les Parisiens qui faisaient la fête, ils disaient qu’ils avaient beaucoup souffert, ils avaient passé trois jours dans les caves et après ils retrouvaient leur maison alors que nous, nous vivions dans les ruines ! Ils ne se rendaient pas compte de toute cette misère, de l’étendue des dégâts en Normandie. Revenue à Caen, j’avais trouvé un logement, dans un quartier sinistré, avec de grands trous dans les murs, alors je me suis transformée en mère-maçon ; trouver des pierres et reboucher tous les trous. J’avais un toit et des murs, je pouvais enfin faire du feu. »