" Je vois encore les Américains arriver "


Madeleine Dumais était une jeune institutrice lorsqu’elle vécut l’Occupation, le Débarquement puis la Libération. Elle raconte la vie d’alors dans un village du Bessin.

« En septembre 1943, je fais la rentrée des classes en tant qu’institutrice dans l’école du petit village d’Écrammeville, situé dans les marais du Bessin. Quelques soldats allemands occupent le village et sont installés dans les maisons du bourg. Ils réquisitionnent les hommes du village pour construire le Mur de l’Atlantique. Moi, je suis quelques fois réquisitionnée pour pêcher des moules sur la plage, et d’autres femmes pour faire des travaux domestiques pour le compte des Allemands. Les enfants du village ont une vie difficile pendant cette période. Ils doivent souvent se lever tôt pour aider leurs parents aux travaux des champs, notamment traire les vaches. Des fillettes s’occupent de leurs petits frères et soeurs avant de se rendre à pied jusqu’à l’école. Beaucoup d’enfants rentrent chez eux à 18h, après l’étude, et terminent leur longue journée en travaillant à la maison. Les enfants ne jouent pas beaucoup. Les jours où il n’y a pas classe, ils glanent des légumes dans les champs et ramassent sur la voie ferrée le charbon tombé des trains.

Un élève particulier

Il y a un élève très particulier dans ma classe. C’est une fillette de dix ans qui s’appelle Raphaëlle. J’apprends vite qu’il s’agit en réalité d’un petit garçon que ses parents ont déguisé en fille. Cette famille juive s’était réfugiée à Écrammeville en 1942, après avoir échappé à une rafle dans le Nord de la France.

L’attente des prisonniers
et la liesse du 8 mai 1945
Madeleine Dumais à 21 ans.

Le 7 juin 1944, je vois entrer dans le village les premiers soldats américains. Je les vois encore arriver le long de la haie, le visage enduit de Palmolive noir en guise de camouflage ! Ils nous distribuent du chocolat et certains boivent un bon coup de Calva. C’est une joie immense pour nous, même si certains villageois ne font pas vraiment la différence entre les libérateurs et les occupants.

 L’incroyable spectacle d’Omaha

Le 8 juin, je décide de me rendre à vélo, avec une amie, sur la plage d’Omaha. Le spectacle que nous avons sous les yeux est incroyable. Il y a du matériel partout : des péniches éventrées, des chars détruits, des grues aplaties, mais aussi une quantité d’objets que les soldats ont laissés là. C’est bien simple, on ne peut pas poser une feuille tellement il y a d’objets qui jonchent le sable. Je vois même des raquettes de tennis ! Une semaine après, nous sommes allées voir un centre américain. Il y avait des tentes hôpital avec tout ce qu’il faut ; c’est là que j’ai vu mes premières machines à laver et mes premiers sèche-linges. On ouvrait des yeux grands comme ça, parce qu’on ne connaissait rien de tout ça ! Mais dans les familles, c’était toujours la tristesse et les difficultés de vie, car elles attendaient le retour des prisonniers et des déportés. La guerre durera encore pratiquement une année. Et le 8 mai 1945, on danse pendant trois jours et trois nuits, sans s’arrêter. C’est la liesse, l’euphorie générale ! Après le retour des prisonniers, la vie est néanmoins toujours difficile. Nous mangeons encore grâce aux tickets de rationnement qui durent jusqu’en 1949. C’est une telle pagaille à l’époque, qu’il n’y a pas beaucoup d’associations structurées. On aide à droite, à gauche, une famille en détresse, etc. Cette guerre, c’est pour beaucoup presque dix années de privations ; ça compte dans une vie. »