Bernard Dargols et la classe de 2A CAP Hôtellerie Restauration du CFA FIM d'agneaux

1938 : Bernard Dargols part à New York pour quelques mois. Il a 18 ans et des airs de jazz plein la tête. Il est bien loin de se douter qu’il devra patienter six ans avant de rentrer en France dans une atmosphère de chaos sur une plage qu’il ne connaît pas. Le GI Dargols débarque ainsi le 8 juin à Omaha, chargé d’ouvrir la voie…

Octobre 1940 : dans un cinéma new-yorkais, Bernard Dargols voit aux actualités une image qui lui retourne l’estomac : « Pétain serrant la main d’Hitler : cela ne me convenait pas du tout. » Deux ans plus tard, convaincu par ses camarades d’usine de rejoindre l’armée américaine, il s’entraîne dur au camp de Fort Dicks pour intégrer l’infanterie, quand : « un jour, on me présente une carte de France où les villes sont désignées par des lettres et les fleuves par des chiffres. L’officier me montre le point B2. Aussitôt, je lui réponds : Orléans sur la Loire. » Il n’en faut pas plus pour que le « GI français » se retrouve au Camp Ritchie dédié au renseignement militaire.


« Ne dites jamais que vous venez occuper la France. »

Début de l’année 1944 : les préparatifs du Débarquement ont commencé en Grande-Bretagne et le sergent chef Dargols doit informer ses camarades sur ce qui les attend sur le sol français. « J’insistais toujours sur un point : la France n’est pas un pays ennemi, ne dites jamais que vous venez occuper la France, mais dîtes bien que vous venez la libérer. » 5 juin : embarquement à Cardiff sur un Liberty ship. Trois jours de traversée, dans des conditions parfois difficiles, seront nécessaires pour qu’enfin Bernard Dargols puisse faire rouler sa Jeep, baptisée la Bastille, sur le sable normand. A Omaha, le massacre a eu lieu deux jours plus tôt et le décor de ses retrouvailles avec la France a des images de chaos. La plage est jonchée de cadavres, le bruit aussi est fracassant. « Les navires bombardaient au-dessus de nos têtes pour protéger notre avancée. Le front n’était encore qu’à trois kilomètres, à Formigny. »
Bernard Dargols en 1944.

« 2 heures pour rentrer… »


C’est justement dans ce village que l’agent de renseignement va accomplir sa première mission. Le colonel Christiansen le briefe : « On va t’adjoindre un policier militaire qui sera chargé de ta sécurité. Tu laisses à un copain tous tes papiers, lettres et photos. Tu as deux heures pour rentrer et ramener tous les renseignements que tu as appris à demander. Après deux heures, tu seras considéré comme perdu. » Accompagné d’un policier militaire, Bernard Dargols entre dans Formigny prudemment. « J’avais la trouille : on ne savait pas s’il y avait encore des Allemands dans le village. J’étais comme un éclaireur envoyé en reconnaissance pour ouvrir la voie. »

« A force d’avoir peur, on n’a plus peur. »

La population est intriguée par cette drôle de petite voiture au nom français, cet uniforme qui n’a rien d’un uniforme allemand, cet américain qui leur parle français « avec l’accent parisien. » Distribution de chewing-gums et de chocolats aux enfants, de cigarettes aux aînés : on sympathise. Un vieux paysan l’embrasse en pleurant : enfin libre ! L’émotion est partagée. Les renseignements affluent : nom de l’unité, nombre d’hommes, équipement, position des dépôts de carburants, de munition, moral des troupes, leurs activités…. Il est temps de rentrer faire son rapport. Trévières, Cerisy La Forêt… les missions s’enchainent. Toujours le même scénario, toujours la même angoisse quant à la possible présence de soldats ennemis pour le « recevoir », toujours « deux heures pour rentrer ». Avec le temps, Bernard Dargols s’organise. Il cherche les plus gros fermiers, ceux qui ont été obligés d’accueillir l’ennemi et sont donc a priori les mieux informés. Et puis, la peur se dilue : « L’angoisse se maîtrise quand elle est continue. A force d’avoir peur, on n’a plus peur. » Des mois plus tard, de passage à Paris, il profite de deux heures de permission pour retrouver sa mère qu’il n’a pas vue depuis six ans. Au moment, de repartir, le fils entend l’éternelle recommandation de son enfance : « Surtout fais bien attention en traversant la rue… » Bernard Dargols en rigole encore.