Charles Hargrove et les élèves du Lycée Lehec de Saint-Hilaire du Harcouët


Interprète du Général Stanier, commandant de la 231e Division d’infanterie, Charles Hargrove a débarqué le 6 juin à Asnelles, près d’Arromanches. Sauvé des eaux en quelque sorte, puisque la Jeep qu’il conduisait fut la seule de sa Brigade à atteindre la plage…

Comment avez-vous vécu le débarquement ?
Je me souviens du matin du 6 juin. Je partageais une pièce avec trois officiers dans une péniche de débarquement. On savait que l'on devait débarquer en Normandie mais on ne savait pas où. Vers 6 heures du matin, je suis monté sur le pont et j'ai vu la côte. Je me suis dit qu'il se passait quelque chose. Il y avait une foule de bateaux de toutes tailles. C'était un peu comme la place de la Concorde aux heures d'affluence. Des officiers indiquaient quel bateau devait avancer, quel bateau devait attendre. L'ordre est venu de débarquer. Mais je n'avais pas très envie de débarquer ma jeep à cet endroit, loin de la plage. Je tenais à ce qu’elle soit en état de marche ce jour-là, mais je risquais de disparaître dans les flots, et d’être mouillé des pieds à la tête ! 

Toutes les autres jeeps de la brigade étaient noyées

Charles Hargrove, sous-lieutenant en 1943.
Que s’est-il passé ensuite ?
 J’ai eu beaucoup de chance, car à ce moment-là, une énorme mine marine a fait reculer d’environ 200 mètres la péniche de débarquement, qui s’est échouée sur la plage. Toutes les autres jeeps de la brigade étaient noyées ! Le Général Stanier, qui était trempé, m'a alors demandé de le conduire sur le champ de bataille. Une douzaine d’Allemands d’un blockhaus de la batterie de Longues-sur-Mer se sont rendus, puis le reste de la journée s’est passée sans incident. Nous avons campé dans le parc d’un château à Saint-Côme de Fresné, près d’Arromanches. Les Allemands continuaient tout de même à déplacer leurs nids de mitrailleuses et tiraient sur ceux qui portaient des messages, blessant pas mal de soldats et d’officiers. Les combats ont été beaucoup plus durs après le débarquement. Nous nous sommes engagés dans le bocage normand, là où les routes étaient enfoncées et bordées de haies.

Quelle était votre fonction pendant la guerre ?
À l’époque, j’étais sous-lieutenant et j’avais fait une école d’officiers, ou plutôt un camp d’entraînement, sur l’île de Man, entre l’Angleterre et l’Irlande. Ma fonction militaire était interprète auprès du généal de l’état-major, qui ne parlait pas un mot de français. J'ai réussi à surmonter tous les dangers au moment du Débarquement et j'ai fait la campagne de Normandie avec cette brigade. Ce n'est pas très spectaculaire ni glorieux ; je n'ai pas pris d'assaut le port de Cherbourg, mais je crois que j'ai quand même eu la chance de ne pas être tué.

Bien des Allemands admirent la France, plus que beaucoup de Français

Qu’avez-vous ressenti en Europe avant la guerre ?
J'avais suivi toutes les évolutions du 3e Reich depuis la prise de pouvoir d’Hitler en 1933. Mon père était journaliste, alors il était au courant de ce qui se passait en Europe. Enfant, puis adolescent, j’étais conscient que le régime nazi était un régime épouvantable, qui exterminait les Juifs. Alors la guerre que nous faisions contre l'Allemagne était une guerre sacrée. C'était suffisant pour nous réconforter le moral.

L’Europe d’aujourd’hui répond-elle à vos attentes ?
J'ai vu l'Europe depuis le départ, c'est à dire la réconciliation franco-allemande jusqu'à aujourd'hui, et je considère que l'on a fait beaucoup de chemin. Le seul inconvénient est qu’il n’y ait pas de constitution européenne. Mais je suis optimiste pour l'avenir. L'Histoire de France est, je crois, une leçon pour nous ; la France a fait sa paix avec l'Allemagne, qui était considérée comme l'ennemi héréditaire. J'ai vécu en Allemagne pendant 10 ans, et les Allemands, que je connais bien, admirent beaucoup la France, plus que bien des Français admirent leur propre pays.