Marcel Tison et les élèves de 1re du lycée Alexis de Tocqueville de Cherbourg

Engagé à 19 ans, Marcel Tison est fait prisonnier en 1940 à Dunkerque, alors qu’il tente de fuir, en barque, vers l’Angleterre. Il est resté cinq ans en captivité en Allemagne.

« À 19 ans, j’ai devancé l’appel au service militaire pour me débarrasser au plus vite de cette obligation. Il durait deux ans à l’époque. Mauvais calcul : la guerre a éclaté avant la fin de mon service et je ne suis revenu que sept ans plus tard ! J’ai rejoint le 211e Régiment d’artillerie de Cherbourg. Nous avons été transférés dans le Nord, puis à l’Est, à quelques kilomètres de la frontière allemande. Mais au lieu de nous donner l’ordre d’attaquer l’armée allemande, notre gouvernement a tergiversé et nous sommes restés tout l’hiver 1940 à nous tourner les pouces.

À coups de pioche

À ce moment-là, on ne pensait pas que la guerre aller durer aussi longtemps. Face à nous, l’Allemagne avait la plus grosse machine de guerre jamais inventée, surtout ses forces aériennes. Au mois de mai 1940, en Belgique, nous avons essuyé pendant deux heures une attaque de Stukas allemands : tous nos canons ont été détruits. En juin, notre bataillon a été envoyé à Dunkerque. La ville est tombée aux mains de l’ennemi. Retranchés sur la plage, on nous a donné l’ordre de détruire à coups de pioche les moteurs de nos camions pour ne pas les abandonner à l’armée allemande. Des milliers de soldats s’entassaient en attendant un transfert vers l’Angleterre. Les Anglais sont partis les premiers, puis quelques Français. Les bateaux venus à notre secours ont été bombardés. Le matin du 4 juin, nous errions, abandonnés, sur la plage, quand, à la vue d’une barque de pêche, nous avons eu l’idée de gagner l’Angleterre… à la rame !

« La fin de la France »

Nous sommes partis à treize, quelques provisions, une vieille voile et une paire de rames, sous le feu allemand. Au départ, tout allait bien. Mais la tempête s’est levée et la nuit a été épouvantable. Nous n’étions que deux en état de pouvoir ramer : on en a perdu la peau au creux des mains. Au matin, nous avons réalisé que nous revenions vers la France. Trop épuisés pour poursuivre, nous avons débarqué sur une plage apparemment tranquille. Nous n’avions pas fait 500 mètres qu’une patrouille allemande nous arrêtait. Un officier très imbu de sa personne nous a accueillis dans un grand éclat de rire : « Vos amis anglais auraient été très heureux de vous recevoir, mais nous sommes allemands ! » Et il a ajouté : « cette guerre, c’est la fin de la France. » Aujourd’hui, j’entends encore cette phrase. À ce moment-là, en mesurant l’avancée fulgurante de l’armée allemande, en découvrant les drapeaux nazis à toutes les fenêtres et même aux clochers des églises en Allemagne, j’ai bien cru qu’il avait raison.
1 845 000 soldats français furent capturés par les armées du 3e Reich. ©Bundesarchives

Noël dans une famille allemande

Après notre arrestation, j’ai été transféré en Allemagne au terme d’un voyage épuisant de plusieurs jours dans des wagons à bestiaux. Prisonnier pendant cinq ans, j’ai été employé à la construction d’un aérodrome militaire, dans les bois, dans une sucrerie et enfin dans une ferme à Heinersdorf, où vivaient une femme et ses deux enfants, après le départ du père au front. La nuit, j’étais bouclé, avec d’autres travailleurs, dans une salle gardée par un commando allemand.

Le retour à la vie normale

Un soir de Noël 1942, ils m’ont invité à réveillonner. Ils m’ont même demandé d’allumer les bougies de l'arbre de Noël. Le père venait d’être tué. J’ai compris que ces Allemands étaient victimes de cette guerre, au même titre que moi et que ce dîner partagé était un acte de paix. Je me suis dit qu’après la guerre, cela pourrait et devrait continuer. Nous, les anciens prisonniers de guerre avons toujours milité pour la paix. Je vais reprendre des propos de l’écrivain Armand Lanoux, « le silence de l’après-camp succédant à l’interminable absence, me paraît avoir favorisé l’éclosion d’une sagesse diffuse. » Mon but était de me réintégrer, ma réadapter très vite à la vie normale, je suis allé retrouver mes parents chez mon oncle mais au bout de quelques jours, je me suis dit qu’il fallait que je travaille alors je suis revenu à Cherbourg dans la maison de mes parents, occupée par un neveu et j’ai trouvé un poste à l’Union Commerciale. »