Gordon Newton et les élèves de Bac et BTS du CFAI 14/50 de Caen

Gordon Newton faisait partie du 9e Bataillon de paras britanniques chargés de prendre la batterie de Merville Franceville dans la nuit du 6 juin. Mais son planeur atterrira trop loin… Cela lui sauva sans doute une vie qu’à 20 ans, il était pourtant déterminé à risquer pour vivre dans un monde libre.

Comment ça s’est passé pour vous à Merville Franceville ?

On nous avait demandé d’être volontaires pour une mission très dangereuse. Pour en faire partie, il fallait être célibataire. Mon commandant de bataillon m’a avoué il y a dix ans que c’était une mission
suicide. Il pensait que nous ne reviendrions pas. Il était prévu en effet que trois planeurs aillent se « scratcher » au milieu de l’enceinte pour semer la panique chez l’ennemi. Nous avons été ainsi emmenés dans un planeur Horsa fait de bois et de toile. Quand nous sommes arrivés à proximité de Merville, il n’y avait personne : les cinq planeurs transportant les éclaireurs qui auraient dû prendre position s’étaient abîmés en mer. Il n’y avait ni lanterne ni contact radio et nous tournions en rond au-dessus de la batterie, complètement perdus. L’avion qui nous tractait avait été touché par les tirs anti aériens extrêmement nourris avec des obus d’environ quatre centimètres de diamètre. Nous avons dû nous détacher dans de mauvaises conditions si bien que nous avons atterri à l’écart de la batterie. En fait, nous ne sommes jamais parvenus à atteindre l’objectif et n’avons pu rejoindre notre bataillon que trois jours plus tard. Au final, seulement 115 hommes sur 750 réussiront à rejoindre la batterie.

Nous nous sentions immortels

Gordon Newton en 1944 9e Bataillon de Para.
Quel était alors votre état d’esprit ?

Nous étions tristes de n’avoir pu accomplir la mission qui nous avait été fixée pour le Jour J et pour laquelle nous nous étions autant préparés pendant deux mois. En fait, avec la peur de décevoir notre famille, c’était notre principale crainte avant de décoller d’Angleterre et c’est ce qui s’est malheureusement produit. D’un autre côté, si nous avons survécu, c’est justement parce que la mission ne s’est pas déroulée comme prévu car beaucoup sont tombés chez ceux de nos camarades qui ont finalement réussi à prendre la batterie. Sans compter la tragédie des 600 paras qui se sont noyés dans les zones inondées par Rommel qui avait fait ouvrir les vannes de la Dives. Pour le reste, nous n’avions pas peur : nous étions jeunes, nous nous sentions immortels et nous voulions être extraordinaires. Nous avions choisi de nous engager. Nous l’avons fait parce que nous savions que nous devions faire la guerre si nous voulions la paix.

On imagine que vous avez dû être contraint de tuer des ennemis ? Qu’avez-vous alors ressenti et avez-vous essayé par la suite d’oublier ?


J’ai dû tirer sur des gens et les tuer mais si je ne l’avais pas fait, ce sont eux qui m’auraient tué. Et si on en voyait s’enfuir, on les pourchassait pour éviter de les retrouver plus tard face à nous. C’était la guerre. Ce n’est pas ceux que j’ai pu tuer qui m’ont marqué mais la mort de mes camarades, comme ce caporal qui est sorti de sa cachette dans un fossé pour se soulager et a été touché à la tête par un tireur d’élite allemand posté dans un arbre. Il est retombé, mort, dans mes bras. Ce fut le moment le
plus terrible pour moi. Ça se passait à Bréville le 12 juin. Cette nuit-là, un autre bataillon de parachutistes avait réussi à prendre le village au prix d’énormes pertes. Pendant la bataille, l’église a pris feu et nous avons entendu l’orgue qui jouait à cause de la chaleur dans les tuyaux. Oublier ? Non, c’est impossible. Et je ne le veux pas : je suis fier et heureux d’avoir fait ce que j’ai fait car nous nous battions pour la liberté.