" Il fallait prendre des risques "

Jeune marin, Paul Leterrier parvient à rejoindre les Forces Françaises Libres à Beyrouth. Il participe ainsi à la Bataille de Bir Hakeim en 1942, puis à la campagne d’Italie en 1944, avant de débarquer en Provence.

Comment avez-vous appris la défaite de la France en 1940 ?

C’était écrit « bewohnt » partout et je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Cela voulait dire « occupé ».
Quelle a été votre réaction ?

Je suis parti du Havre pour rejoindre Marseille, en tant qu’Officier de la Marine marchande. J’ai embarqué sur un paquebot, qui partait à Beyrouth rapatrier les troupes de Vichy qui avaient combattu contre les Français Libres et les Anglais… Une fois arrivé, je me suis mis en civil et j’ai rejoint la file des passagers. Puis j’ai dis à deux officiers australiens que je faisais partie de l’équipage et que je voulais rejoindre les Forces Françaises Libres. Ils m’ont mis le grappin dessus, et les soldats de Vichy n’ont rien pu faire. La nouvelle s’est répandue. Quatre autres marins ont suivi. J’ai pu ensuite intégrer le 1er Bataillon de fusiliers marins des Forces Françaises Libres. J’avais 19 ans.

C’était ce qu’il fallait faire.
Pourquoi rejoindre la France Libre ?

Parce que Vichy obéissait aux Allemands. Non seulement Pétain collaborait avec Hitler, à qui il avait serré la main, mais il allait même au-devant de ses désirs en faisant arrêter les Juifs, même les anciens combattants de 14-18. Ce n’était pas correct. J’ai rallié la France Libre pour aider à libérer la France. C’était ce qu’il fallait faire, pour ceux qui le pouvaient...

Quel a été votre rôle pendant la guerre ?

J’ai dû m’initier au métier de fusilier et au maniement des armes. Puis, je suis passé matelot fusilier
et quartier-maître. J’ai aussi appris à conduire les véhicules chenillés, blindés, motocyclettes… À la fin de la guerre, j’ai ainsi participé à la campagne d’Italie, en scout car, une automitrailleuse de reconnaissance. C’est le premier véhicule à passer, donc le premier à se faire aligner aussi ! J’ai eu beaucoup de chance, même si j’ai été blessé à plusieurs reprises. En juin 1942, pendant l’encerclement de Bir Hakeim, ça a été l’enfer. L’artillerie nous bombardait de tous les côtés et on ne pouvait pas riposter car la portée de nos canons était insuffisante par rapport à celle des Allemands. Et après les attaques d’artilleries, suivaient les attaques de l’infanterie. Mais on a tenu. Nous avons tous eu peur à un moment donné. Mais qui « ose gagne » comme le dit la devise des parachutistes. Il fallait prendre des risques.

J’ai toujours des éclats dans le ventre.
Naples 1944. Paul Leterrier est alors quartier maître
 au 1er Bataillon de Fusiliers Marins La Force Libre


Où étiez-vous au moment du Débarquement ?

Au moment du 6 juin, mon régiment était à Tivoli, près de Rome, on aurait bien voulu y être mais on ne pouvait pas être à deux endroits à la fois. En août, quand on a appris que c’était notre tour de débarquer en France, en Provence, on était enthousiastes, on voulait libérer notre pays.

Quels sont votre meilleur et votre pire souvenirs de cette période ?


Le meilleur, c’était la camaraderie, la fraternité entre nous. Le pire, c’est quand j’ai été blessé à Bir Hakeim, avant l’encerclement. Je distribuais les vivres à ma compagnie, en camion, quand nous avons été arrosés par des mitrailleuses. La bâche du camion ressemblait à une écumoire. J’avais des balles dans les deux cuisses, le dos, les poumons… J’ai cru que c’était fini pour moi. Le chauffeur nous a alors conduits à l’ambulance chirurgicale du camp où j’ai été soigné. Aujourd’hui, j’ai toujours des éclats dans le ventre qu’on n’a jamais pu extraire.

Après la guerre, avez-vous eu du mal à raconter votre histoire ?


Je ne la racontais pas. J’étais déjà bien content de m’en être sorti. Et ce que j’ai fait, je suis content
de l’avoir fait mais je ne m’en vante pas. Un jour, après la guerre j’ai rencontré un homme à Alger, avec qui je me suis mis à discuter. C’était un Allemand qui avait combattu à Bir Hakeim. Et nous avons trinqué ensemble.