Henri Derouet et les élèves de 3e et 2de du lycée agricole de Giel

 Durant l’été 44, près de 600 blessés seront soignés à l’orphelinat de Giel transformé en hôpital. Entre les corps qu’on opère et ceux qu’on enterre, les 200 élèves vont pourtant finir leur année scolaire. Henri Derouet était l’un d’eux.

« Nous avons appris le Débarquement par la radio sur le seul poste existant qui était chez le directeur. Chaque matin, les surveillants indiquaient la progression des Alliés au moyen de fils de laine punaisés sur une carte de la Normandie.

Les Américains s’annoncent

Nous avons aussi compris que le Débarquement avait eu lieu parce que beaucoup d’avions alliés passaient au-dessus de nous. Ces avions volaient très haut pour échapper aux tirs de la DCA. Ils lançaient des petits papiers argentés pour brouiller les radars. Les Américains lançaient aussi parfois des tracts pour prévenir la population des bombardements et l’inciter à ne pas rester dans les maisons. Sur d’autres tracts, ils décrivaient leurs armes et leurs uniformes avec les grades pour qu'on puisse les reconnaître quand ils arriveraient chez nous.
 
Des classes transformées en salle d’opération
Henri Derouet enfant à l'orphelinat.

Dès le 16 juin, une équipe de la Croix-rouge est venue de Paris pour faire fonctionner l'hôpital. Il y avait aussi les chirurgiens des hôpitaux de Falaise et d’Argentan qui avaient été détruits, ainsi que des religieuses d’Argentan et de Giel. Ceux qui allaient chercher les blessés prenaient beaucoup de risques parce que les avions mitraillaient tout ce qui bougeait dans les rues, croyant que c'étaient des Allemands qui circulaient. Dès qu’ils entendaient un avion, ils stoppaient leur ambulance et couraient se cacher. Je me souviens d’une infirmière qui est revenue « en charpie », touchée par les balles des mitrailleuses avant d’avoir pu s’abriter. Sa tombe est dans le cimetière de Giel. C'était une femme d'origine polonaise : Marguerite Lewandowska. On voyait les ambulances arriver, puis les corps qu’on déchargeait sur des brancards. Des classes avaient été aménagées en salle d’opération. On humait les vapeurs de chloroforme qui passaient à travers les fenêtres. Quand il y avait un décès, les élèves les plus âgés étaient parfois chargés de transporter les défunts jusqu’au cimetière, après une courte cérémonie religieuse dans la chapelle qui se situait dans l’actuel CDI du lycée. Les douches au sous-sol servaient de morgue. Très vite, il a fallu aménager un second cimetière. Les plus jeunes, nous montions dans les dortoirs pour donner un petit concert aux malades et les réconforter. On allait voir les morts aussi. Parfois on soulevait le drap et on touchait les cadavres. Nous n’étions pas particulièrement impressionnés : à force, nous nous étions endurcis. Du moins, ça allait tant que
ce n’était pas le cadavre d’un copain qui était sur la table, ce qui est malheureusement arrivé.
 
Un directeur tenace et avisé…

Les Allemands, qui avaient installé une batterie au moulin pour tirer sur les Anglais de l’autre côté de Putanges, n’ont pas tardé à vouloir réquisitionner l’hôpital pour leurs blessés. Ils voulaient mettre tout le monde dehors. Heureusement, le directeur leur a tenu tête et a réussi à obtenir que la maison soit partagée. Seulement la présence des soldats Allemands a été repérée par des Anglais qui ont décidé de les déloger. Ils ont cerné la maison et étaient prêts à déclencher un tir de destruction. Le directeur l’a appris et a réussi à faire passer un message aux Anglais pour leur indiquer qu’ils visaient en fait l’hôpital. Comme on craignait surtout les bombardements aériens, les croix rouges avaient été peintes sur le toit : les soldats ne pouvaient donc pas les voir du sol ».