" Irrésistible liberté "

A l’automne 1942, Rémi Geslain s’évade pour la... quatrième fois en 18 mois. Il ne sera plus jamais repris. Quelques mois plus tôt, il a pourtant fait partie des 2 000 prisonniers français « récidivistes » expédiés en Ukraine dans le funeste camp de représailles de Rawa Ruska.

« Le 3 septembre 1939, je suis appelé sous les drapeaux pour servir et défendre la France. Lors de la débâcle en juin 1940, je suis fait prisonnier à Forcelles par les troupes allemandes. Très vite je suis envoyé en Allemagne à Herzfeld au Stalag 9A. Nous remplaçons la main d’oeuvre allemande partie sur le front russe. La captivité m’était insupportable et je décide de m’évader en avril 1941. La première chose est de trouver des vêtements civils, ensuite c’est de prendre de quoi se nourrir pour quinze jours car c’est le temps qu’il nous faut pour retourner en France. Au bout de neuf jours, nous manquons de tout, nous avons faim mais le pire est le manque d’eau… A Worms, je me fais arrêter par la Gestapo au moment de voler un vélo.

Retour à la case départ

Au printemps 1941, je suis envoyé dans un camp disciplinaire à Friewald, dans une carrière de pierres. En août de la même année, avec un camarade, on décide de s’évader. Le jour on se planque dans les champs et la nuit on marche. Sur un pont on se fait arrêter par deux sentinelles allemandes qui nous demandent qui nous sommes. « Kriegsgefangener : prisonniers de guerre », leur répondons-nous. Et là rebelote, nous repartons pour un camp disciplinaire, celui de Rawa Ruska en avril 1942. Le trajet dure six jours et six nuits dans des wagons à bestiaux. On arrive épuisés, complètement désorientés à des milliers de kilomètres de la France. En août 1942, avec d’autres camarades, on décide de s’évader par groupes de quatre avant de mourir de fatigue, de faim, de soif. Par chance, nos prédécesseurs ont creusé un tunnel qui sort juste tout près des barbelés dans lesquels un énorme trou a déjà été fait. On pouvait quasiment passer debout.
Rémi Geslain en 1944

Quatre-vingt douze par groupe de quatre

Nous sommes 92 à nous échapper par groupe de quatre, toutes les cinq minutes. Nous partons vers le nord, objectif : la France. Sur le bord de la Vistule, nous embarquons sur un bateau pour Varsovie grâce à l’intervention d’un prêtre polonais. Là nous prenons contact avec la Croix Rouge qui nous fait intégrer un convoi de 15 permissionnaires qui rentrent en France. Et c’est comme ça que 18 jours après avoir quitté le camp, je me retrouve à la Gare du Nord. En France contrôlé par les autorités allemandes, je me fais arrêter en tant qu’évadé de camp, direction Rennes où je reste quelques jours, avant d’être envoyé vers l’Allemagne par le train. De nouveau, échappant à la vigilance des gardes, je saute du train. Muni de faux papiers, je m’appelle à présent Georges Bataille ; je travaille au Comptoir Forestier d’Alençon et ce jusqu’à la Libération. Au moment du Débarquement je suis dans l’Orne. Que de joie quand nous apprenons ce qu’il se passe sur les plages mais aussi que de crainte car nous avons peur que par représailles les autorités allemandes organisent quelques rafles auprès des jeunes ! Alors mon frère et moi, décidons d’aller nous cacher dans la campagne d’Arradon, en attendant que ça se calme. Nous ne sommes revenus qu’après la libération d’Alençon vers la mi-août. Mon seul regret est de n’avoir pu m’engager dans la Résistance quand j’étais dans l’Orne même si s’évader des camps était déjà une forme de résistance. »