Jean Tatard et les élèves du Lycée Le Verrier de Saint-Lô


Le 6 juin 1944, 20 heures, Saint-Lô est sous les bombes. Beaucoup d’habitants fuient leur domicile. C’est le cas de Jean Tatard et de sa famille. Durant leur exode, son père note tout sur un carnet. A leur retour, Saint-Lô est devenu « la capitale des ruines ».

Comment avez-vous vécu le Débarquement ?
C’était épouvantable, à Saint-Lô, il y a eu beaucoup de tués, la ville a été bombardée par les Américains. Cela a commencé vers 20 heures le 6 juin, on a quitté notre maison avec une petite valise pour nous réfugier dans un champ au-dessus de la rue de la Marne. Il y a eu une petite accalmie, puis vers 23 heures les avions sont revenus et ont bombardé de façon intensive. Cela nous a paru interminable. Nous avons décidé de quitter le champ car rester à cet endroit nous semblait trop dangereux et nous nous sommes dirigés dans un petit chemin, c’était une succession de cratères de bombes. Nous sommes allés nous réfugier dans la campagne à trois kilomètres de Saint-Lô, dans une ferme où nous sommes restés huit à dix jours. Notre errance nous a menés jusqu’à Hambye, où nous resterons jusqu’à notre retour.

Le carnet de notes du père de Jean Tatard.
Comment se passait la vie pendant les bombardements ?
 Mon père avait emmené un petit carnet, il écrivait tous les jours ce qu’il se passait. C’était, je pense pour laisser une trace de ce que nous étions en train de vivre, avec une écriture de survie, des détails d’actions menées, la chance d’échapper aux bombes... On espérait être libérés rapidement. Avec ma famille, nous avons eu la chance d’échapper et de survivre aux bombardements, ce ne fut pas le cas de tous les Saint-Lois. Un soir ma petite soeur, effrayée par les bombardements, a sauté par la fenêtre de la maison où nous étions réfugiés. Nous ne l’avons retrouvée que trois ou quatre jours plus tard, dans une ferme des environs chez des amis de la famille qui l’avait hébergée et réconfortée.
Saint Lô était devenue une ville triste.

Avez-vous manqué de nourriture ?
Concernant la vie de tous les jours, nous étions dans la campagne, alors on allait traire les vaches qui en avaient bien besoin, on avait du lait et du beurre à profusion. Mais on manquait énormément de pain. On se relayait pour aller chercher du tabac quand on pouvait en trouver grâce aux ravitaillements organisés par la Préfecture. Cela nous permettait de garder le moral. On a aussi pillé des camions allemands : on a récupéré ainsi une cantine et des chaussures de parachutiste.

Jean Tatard 15 ans en 1944.
Comment se passaient vos rencontres avec les Allemands pendant l’exode ?
On les croisait mais on n’était pas inquiétés, sauf à la fin de notre exode. Les Allemands étaient encerclés, piégés dans la bataille des haies. Mon père, portant un chiffon blanc dans la main, est tombé nez à nez avec un officier qui l’a pointé avec son arme, prêt à lui tirer dessus. L’Allemand devait penser que mon père voulait faire signe aux Alliés. Heureusement une des femmes qui nous accompagnait, car nous étions plusieurs familles ensemble, parlait couramment allemand et lui a expliqué notre situation de réfugiés. Il a baissé son arme. Heureusement car cela aurait pu être dramatique. Nous sommes rentrés chez nous dans le courant de l’été. Notre maison était à moitié détruite. Il a fallu la retaper, la consolider. A mes yeux, Saint-Lô était devenue une ville triste… Cet exode m’a ouvert au monde, m’a appris à avoir moins peur, à me lancer dans des aventures, mais surtout à comprendre qu’il ne faut pas oublier ce qu’il s’est passé.