Malgré-lui

Lucien Meyer fait partie des 134 000 Malgré-nous alsaciens et mosellans qui n’ont pas eu le choix. Il dut intégrer l’armée allemande en avril 1943. Fait prisonnier à Montormel, il finit la guerre sous l’uniforme français.

Lucien Meyer a exprimé les douleurs subies par les Alsaciens lors du second conflit mondial. Il se
souvient encore de la gare de Strasbourg, en 1940, rhabillée en rouge avec les croix gammées et une banderole annonçant : « Bienvenue dans le IIIe Reich ». L’Alsace devait être un territoire allemand : tout ce qui était français a été interdit. « On ne pouvait même plus porter le béret. Les noms de famille, les prénoms, les rues, tout était germanisé. Aux yeux de l’Allemagne, l’Alsace et la Lorraine devaient être un territoire allemand. »
Tout acte de résistance est puni. Pour céléber l’Armistice de la Première Guerre mondiale, l’un de ses camarades a étendu un drapeau français le 11 novembre 1941, il est envoyé dans un camp de redressement. À 18 ans, Lucien Meyer est obligé de rejoindre, malgré lui, l’armée allemande. Plusieurs Alsaciens ont refusé ou tenté de fuir. Ils seront fusillés et leurs parents envoyés dans des
camps de concentration. Le cas de conscience est insupportable pour le jeune Lucien : il ne peut
imaginer prendre le risque d’envoyer ses parents dans un camp.

Gravés en moi jusqu’à la fin de mes jours

Démobilisé à Paris en 1945.

Au moment du 6 juin, le soldat Meyer attend en Belgique au sein de son unité antichar. Il rejoint le
front normand à la fin du mois de juillet. Le 18 août, il se retrouve dans la poche de Falaise. Très rapidement, le cercle se resserre, les combats font rage. Ce qu’il voit à Montormel le décide à rendre les armes. « Mes trois jours à Montormel resteront gravés en moi jusqu’à la fin de mes jours. J’y ai vu un Canadien écrasé par un char, un Allemand pendu à l’entrée du manoir… et puis tous les autres. Et je ne parle pas de la puanteur ». Sa mémoire, pourtant infaillible, laisse place au silence.
Le Malgré-nous a déserté l’armée allemande. Il s’est débarrassé de son uniforme de la Wehrmacht et s’est caché dans la cave d’une ferme. Mais les Alliés ratissent le périmètre et ne tardent pas à le
débusquer : « J’ai entendu « haut les mains ! », je suis sorti de ma cachette et je me suis joint à une trentaine de soldats allemands qui brandissaient leur drapeau blanc et se rendaient à la 10e Peska, c’est-à- dire l’unité de reconnaissance de la 1re Division blindée polonaise. » Ensuite, les prisonniers sont transportés à Portsmouth, pour être interrogés : « C’est dans ce camp que j’ai mangé mes premiers biscuits et bu mes premières gouttes d’eau depuis six jours. » Reconnu comme malgré-nous, il est séparé des prisonniers allemands et on lui propose de s’engager dans l’armée française : « On a reçu un fusil Lebel, on a réappris à marcher au pas à la française, à saluer à la française, on a remis le béret. Et le 11 novembre 1944, j’ai défilé à Londres devant la statue du Maréchal Foch avant d’être démobilisé à Paris en janvier 1945. » Luzian est redevenu Lucien, mais la blessure ne s’est jamais complètement refermée.