Une enfance blessée

 Au matin du 6 juin, il pleut des obus sur les terres situées à proximité des plages. A 12 kilomètres d’Omaha la sanglante, la famille Letourneur se sauve comme elle peut. Cela n’empêchera pas Michèle, alors âgée de dix ans, d’être blessée le lendemain.

À l'aube du 6 juin, la marine américaine entame le bombardement de la côte. Dans leur maison siuée à 12 kilomètres d’Omaha, Michèle Letourneur et sa famille se retrouvent sous les bombardements incessants des navires. Ils sont contraints de quitter le domicile familial. « A ce moment, ma mère et ma soeur qui étaient sur le trottoir ont été projetées par un obus de l'autre côté de la rue. » Pour survivre, ils s'éloignent de la plage. Sur le chemin, la jeune fille voit un cheval mort sur le bas-côté de la route. « En voyant ce cheval mort, c'est là que je me suis rendu vraiment compte que c'était la guerre ! » En s’enfonçant dans les terres, ils se retrouvent au mauvais endroit : « Un soldat américain m'a demandé ce qu’on faisait là, et nous a annoncé qu’on courait un grave danger car nous étions entre les lignes américaines et allemandes. Ce soldat nous a donc envoyés plus loin, à l’arrière des combats. » Lorsque la nuit tombe, ils ne trouvent qu'un tas de gravats pour dormir. Le lendemain, les hommes partent traire les vaches pour nourrir toute la famille.

Une grenade balancée par un GI
Michèle Letourneur durant l'été 1941.

Plus tard dans l’après-midi, les combats font rage. Michèle Letourneur et une de ses amies vont se réfugier avec d’autres habitants dans une tranchée avec comme unique protection des fagots de bois. Un soldat américain, apercevant cette entrée de tranchée balance une grenade incendiaire, afin de sécuriser la zone : Michèle Letourneur est blessée au visage et au bras, son amie est gravement touchée au niveau des jambes. Par chance, un voisin voit au loin de la fumée sortant de la tranchée où étaient les jeunes filles. Il les sort vite et les conduit dans un hôpital de campagne d’Omaha pour les
premiers soins. Elle est ensuite transférée par les Américains à l’hôpital de Bayeux. « On a eu de la chance que quelqu'un nous ait sorties de la tranchée. Sans ça, on aurait pu y rester ! J’avais besoin d’aller à Bayeux pour ma rééducation, c’étaient les Américains qui m’y conduisaient dans leur jeep. Ils avaient besoin de se mélanger avec les familles françaises : ces contacts leur apportaient un peu de réconfort.»

Pas facile à avaler


De la libération, Michèle Letourneur garde aussi le goût des sodas, du chocolat et des chewing-gums distribués par les Américains. « On n’en avait jamais mangé : Mon premier chewing-gum, j’ai eu beaucoup de mal à l'avaler ! » Le souvenir de ces petits plaisirs n’occulte pas celui plus pénible de l’ampleur des dégâts constatés à leur retour au village : leur maison n’est plus qu’une ruine, la plupart des animaux de la ferme sont morts. La reconstruction de l’après-guerre sera bien plus longue que prévue. Mais pas de quoi altérer la reconnaissance qu’elle voue aux libérateurs : « Quand vous avez subi quatre ans d’occupation, la libération reste malgré tout quelque chose de sensationnel. »