" Ne pleure pas petit français, ne pleure pas ! "

 Rescapé d’Auschwitz, Charles Baron a survécu deux ans et demi dans les camps de la mort. Il n’était plus qu’un bout d’homme de 18 ans quand les soldats américains l’ont libéré en avril 1945.

L’annonce du Débarquement est-elle venue jusqu’à vous alors que vous étiez dans un camp de travaux forcés près d’Auschwitz ?
Oui, mais je ne saurais pas vous dire quand précisément. Naturellement, ce ne fut pas le jour même, mais assez rapidement. Il va de soi que nous n’avions pas la radio, ni accès au moindre journal dans un camp : nous vivions dans un autre monde. En revanche, je me souviens l’avoir appris par un Kapo. Il nous arrivait en effet de récupérer des infos en surprenant des bribes de conversations d’un gardien ou, dans les camps de travail, d’un entrepreneur qui employait des déportés.

Nous vivions dans un autre monde 


Civils et gardiens mangeaient des sandwichs parfois emballés dans du papier journal. On savait qu’on risquait notre peau en récupérant ces bouts de journaux. Mais pour nous qui étions privés de tout contact avec l’extérieur, c’était quelque chose d’absolument extraordinaire. Même si c’était en Polonais ou en Allemand, on parvenait à déchiffrer. La seule information que nous avons appris quasiment en direct, ce fut l’attentat auquel Hitler a échappé par miracle le 20 juillet 1944. Nous l’avons su le jour même en raison du comportement des gardiens nazis. Pendant quelques heures, ils ont ignoré si « leur » Führer était mort dans l’explosion. Ce fut la seule fois où j’ai vu nos bourreaux marcher la tête basse. Ils semblaient complètement perdus, ne s’occupaient plus vraiment de nous et parlaient entre eux sans se soucier de notre présence. Cela les a bien plus bouleversés que l’annonce du Débarquement.

Avez-vous regretté et compris que bien qu’informés du génocide en cours, les Alliés n’aient pas bombardé Auschwitz ? 
Ils ont pris des photos aériennes des camps, donc ils auraient pu bombarder. Force est de constater qu’ils n’ont pas souhaité le faire alors que cela aurait sûrement permis de sauver des vies. Rien qu’à Auschwitz, on estime à 1,1 million le nombre de personnes assassinées, dont le plus grand nombre dans les heures suivant leur arrivée. Et les chambres à gaz ont continué de tourner à plein régime jusqu’en novembre. 438 000 Juifs Hongrois ont été déportés à Birkenau entre mai et juillet 1944.

Les Alliés se sont moins posés de questions pour Hiroshima.
 En France, les derniers convois de déportation ont quitté Paris jusqu’aux derniers jours de l’occupation. Bien sûr que des bombardements n’auraient pas été sans risques pour les déportés. Mais il me semble incontestable qu’il aurait été préférable de mourir sous les bombes que dans une chambre à gaz dans les conditions atroces que l’on devine. C’est donc peu dire que je regrette que ces bombardements n’aient pas eu lieu. Les Alliés se sont moins posés de questions pour Hiroshima.
Charles Baron (debout les bras croisés) à l'hôpital militaire de Mainau en Suisse en juillet 1945. il a 19 ans mesure 1,60m et grandira de plus 20cm l'année suivante

Quelle a été votre réaction quand les soldats vous ont libéré ? 
Je me suis retrouvé devant deux GI’S de la 103e. J’ai sauté dans les bras du premier et je l’ai embrassé. Il était le symbole de ma liberté retrouvée. Lui ne cessait de me répéter : « Ne pleure pas petit Français, ne pleure pas. » Je crois qu’il était peut-être encore plus bouleversé : je ne pesais plus que 29 kilos. J’ai revu beaucoup de soldats de la 103e après la guerre, ils m’ont même fait membre d’honneur de la Division. L’un d'eux m’a un jour confié que s’ils avaient su ce qu’ils allaient découvrir dans les camps, ils n’auraient pas fait de prisonniers. Ces hommes ordinaires avaient un courage extraordinaire. Rien ne les obligeait à quitter leur petite vie tranquille pour venir risquer leur peau et venir me sauver en Europe. Jusqu’à mon dernier souffle, ils resteront « mes » héros. Sans eux, je ne serais jamais revenu.