Paul Le Goupil et les élèves de 2de année de maçonnerie et de couverture de l'EREA Robert Doisneau de Saint-Lô


Pour une raison inconnue, près de 1 600 Résistants furent déportés au camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau par le convoi du 27 avril 1944, surnommé « le convoi des tatoués. » La moitié environ survivra. Paul Legoupil est l’un d’eux. 

En 1942, Paul Le Goupil est un jeune instituteur de 20 ans à Grand-Quevilly à côté de Rouen. Il joue de l'accordéon dans les bals clandestins et distribue des tracts et des journaux contre le Service du Travail Obligatoire. Très actif dans la Résistance, responsable départemental du FPJ (Front Patriotique de la Jeunesse), il est à la tête d'un réseau de 400 personnes, « on luttait de toutes nos forces pour empêcher les départs en Allemagne. Notre objectif était de faire tout ce qu'on pouvait pour affaiblir l’Allemagne. » Suite à une dénonciation, il est arrêté avec 11 autres résistants en octobre 1943, enfermé et torturé à la Prison Bonne nouvelle de Rouen. « Plus tard, ce qui m'a fait survivre dans les camps, c'est la rage, l'envie de « faire la peau » à celui qui m'avait vendu. C'était un Français qui dénonçait les Résistants pour le fric (5 000 francs par mois à l'époque) ! Il en a dénoncé 200 et a été condamné à mort. » L'un de ses plus terribles souvenirs reste la nuit du 11 au 12 novembre : la Gestapo menace de tuer 10 de ses camarades, arrêtés en même temps que lui, s’il ne dénonce pas son chef. « J'avais dit que je ne parlerai pas, je n'ai pas parlé. Quelquefois, j'y pense encore, ça a été terrible, mon jour le plus difficile. » Les Allemands ne tueront pas ses 10 camarades, ce n’était qu’un odieux chantage pour obtenir les noms des chefs.

Voyage en enfer 

Paul Legoupil et son accordéon.
Le 27 avril 1944, son convoi de déportés politiques part de Compiègne. Parmi eux, se trouve le poète Robert Desnos qui mourra du typhus le 8 juin 1945 au camp de Theresienstadt. Pour l’heure, une centaine de prisonniers s’entassent dans le wagon à bestiaux de 18 mètres carrés. Ils atteindront Auschwitz Birkenau après un périple de quatre jours dans des conditions épouvantables dont le site de l’Amicale des Déportés Tatoués rend compte en ces termes : « Soif, asphyxie, et démence transforment certains wagons en cercueils ou cellules d’aliénés. Certains boivent leur urine, d’autres, rendus fous par la souffrance, veulent tuer leurs camarades et ne sont maîtrisés qu’à grand peine. » A leur arrivée, les déportés sont tatoués et rasés. Le matricule de Paul Legoupil est 185 899. Non loin de son baraquement, il parvient à apercevoir les condamnés à mort : des femmes, des enfants, des vieillards sélectionnés pour la chambre à gaz. « Nous avions appris par des déportés polonais, que ceux qui rentraient dans ces Blocks n'en ressortaient jamais. Certains d'entre nous avaient beaucoup de mal à le croire. » Il redoute alors que le même sort lui soit réservé. Mais le 12 mai 1944, comme la plupart de « ceux du 27 avril », il est envoyé au camp de concentration de Buchenwald. Il est d’abord affecté à l’usine Mitbau, où l’on fabrique des missiles. L'usine sera bombardée par les Alliés. Il travaille ensuite dans un Kommando d’Halberstadt, puis il est transféré au camp de Langenstein-Zwieberge, où les détenus doivent creuser des galeries sous la terre. C’est alors qu’il se blesse au coude en poussant un wagonnet.

Un plâtre salutaire 

Un détenu infirmier allemand lui fait un plâtre qu’il conservera longtemps pour éviter « d’aller crever au tunnel ». « Je nettoyais bien mon plâtre pour chaque visite médicale afin d’obtenir le billet qui m’autorisait à rester au camp où j’étais réquisitionné pour la corvée de soupe mais aussi pour la corvée des morts... Tous les matins, les morts étaient jetés à la porte du Block. On en mettait deux dans une couverture qu’on portait à quatre dans une petite cabane fermée à clé, car il y avait des vols de cadavres. Le fond du tas, c’était de la bouillie de morts… Incommodé par l’odeur, l’officier allemand s’impatientait et mettait son mouchoir sur son nez en nous disant « Fertig ! Fertig ! (Finissez ! Finissez !). Le jus formait une petite rigole et l’odeur venait jusqu’à nous dans le Block. » Le 6 juin 1944, il est à Buchenwald quand il apprend le Débarquement au cours d'un des bulletins d'information diffusés quotidiennement par les haut-parleurs du camp. Cette annonce redonne de l’espoir aux détenus et le désir de s’accrocher encore. « De mémoire, j’avais dessiné une carte de la région avec les villes et les kilomètres que je montrais à mes compagnons de Block. Malheureusement dans les semaines qui ont suivi, cela n’avançait pas aussi vite que nous l’aurions souhaité. En avril 1945, c’était la déroute, les Allemands nous ont évacués du camp, on a marché du 9 au 21 avril avant d'être récupérés par les Américains. Je vois encore mon premier libérateur au volant de sa jeep. »