Pierre Billaux et les élèves de CAP du Lycée Mézeray d’Argentan


C’est le portrait en noir et blanc d’un jeune homme photographié avant une guerre à laquelle il ne survivra pas. Pour Pierre Billaux, rescapé du camp de Neuengamme, cette photo est le souvenir d’une rencontre salutaire et d’une blessure qui ne s’est jamais refermée.

En 1943, Pierre Billaux intègre le réseau « Vengeance ». L’objectif est de former un groupe de combat qui sera opérationnel pour le Débarquement. Le commis de coiffure apprend le maniement des armes dans la clandestinité. Le 3 mai 1944, il est arrêté sur dénonciation, emprisonné à Alençon. Le 6 juin, toujours dans la prison ornaise, il vit un moment extraordinaire avec ses compagnons de cellule en apprenant le Débarquement. « Le sol tremblait sous l’effet des bombardements. Nous pensions être libérés sous peu. » Mais ce ne sera pas le cas. Quand Alençon est libéré le 12 août, cela fait déjà près de trois semaines que Pierre Billaux a été déporté à Neuengamme après avoir transité par Compiègne. Dans ce camp, les prisonniers doivent fabriquer des briques, une tâche particulièrement éprouvante, en étant aussi mal nourris et aussi mal vêtus. Par tous les temps, ils poussent des wagons dans les glaisières.

Le portrait d'avant-guerre du médecin
qui sauva le bras de Pierre Billaux
Des asticots dans les bras

Un jour, un pas de côté pour éviter une flaque d’eau, lui vaut un grand coup de schlague du « Posten ». Deux jours après, son bras est très enflé, la blessure s’infecte. Il voit son bras pourrir ; les asticots s’y installent ! Pour être admis à l’infirmerie, Pierre Billaux doit attendre la mort d’un déporté dont il prend le lit. Le médecin, un détenu également, doit pratiquer une incision à vif dans le phlegmon pour en extraire le pus. Mais grâce à ces soins rudimentaires, Pierre Billaux ne perdra pas son bras.

Rescapé d’une croisière macabre

Durant ses mois de déportation, Pierre Billaux parvient à suivre l’avancée des troupes alliées. L’espoir d’être libéré contribue à sa survie. Il rentre après avoir échappé aux bombardements des avions alliés abusés qui ont visé les trois paquebots où étaient entassés les centaines de rescapés des camps. La perversité ne connaissant pas de limites, leurs geôliers ont organisé cette croisière macabre sous le pavillon nazi dans le but, justement, de les faire assassiner par ceux qui devaient les sauver. Deux navires ont sombré dans la baie de Lübeck entraînant par le fond 7 500 prisonniers, cinq jours avant la fin de la guerre. Par chance, Pierre Billaux est monté sur l’Athen qui ne sera pas touché.

Au détour d’une visite 

Pendant plusieurs années, le rescapé accompagne les groupes de touristes sur les sites de la Bataille de Normandie. Un jour, un homme le complimente sur sa façon de raconter, certain qu’il doit avoir vécu les événements pour y mettre autant de coeur. Pierre Billaux évoque alors Neuengamme. Surpris, ses interlocuteurs appellent aussitôt un des membres du groupe qui leur a parlé de son frère médecin déporté au même endroit. Pierre Billaux s’empresse de demander son nom. La réponse le laisse sans voix : c’est le médecin qui l’a fait entrer à l’infirmerie et a sauvé son bras ! Lui a coulé avec le Cap Arcona, le 3 mai 1945.
Soixante-dix ans plus tard, il reste de cette histoire un petit cadre avec une photo en noir et blanc. Au décès de leur mère, le frère du médecin estima qu’il ne pouvait revenir qu’à Pierre Billaux.