" S'en sortir vivant ! "

Pour Joseph Köhler, le D-Day fut un jour sombre. Il pilote alors des avions de chasse allemands et croit encore au sens de son combat. Il n’aura bientôt plus comme objectif que de sauver sa peau et l’inhumanité de la guerre deviendra sa seule conviction.

Vous souvenez-vous des circonstances dans lesquelles vous avez appris le Débarquement allié ?

C'était le matin. On faisait notre toilette lorsqu'on a entendu à la radio que « l'invasion », comme on l’a appelée chez nous, avait commencé. Que les Alliés, fortement armés, étaient parvenus à débarquer dans la baie de Caen et de Bayeux. On a effectué des missions aériennes toute la journée et, le soir venu, on a entendu dans le bulletin de l'armée qu'on n'avait pas réussi à les faire reculer. Pour nous, il était clair que, si on ne parvenait pas à les repousser le premier jour, ça serait difficile ensuite.

Vous doutiez-vous de ce Débarquement ?

On ne savait que ce que l'on voulait bien nous dire, car on n'avait que la radio pour s'informer. On savait qu'il se tramait quelque chose qui pouvait faire définitivement basculer la guerre. Cela fut une douche froide car on avait conscience qu'il s'agissait d'un événement historique. Mais que pouvait-on faire ? On a espéré que tout se passe sans trop de casse. Puis, les Alliés se sont enfoncés dans les terres et ont livré d'intenses combats.

Vous devez être convaincu que tout cela a un sens.
 
Terrain d'aviation sur le front de l'est en 1943.

Aviez-vous déjà vu une photo du port artificiel d’Arromanches, comme celle-ci ?

Non, pas du tout. Quelle supériorité ils avaient ! Le débarquement avait été minutieusement préparé, que ce soit au niveau du matériel et des troupes.

Pensiez-vous à ce moment-là que l'Allemagne pouvait encore gagner la guerre ? En raison de la propagande notamment ? 

C'était un peu plus compliqué que cela. Lorsque vous êtes un soldat qui se bat au front, vous devez être convaincu que tout cela a un sens. Tant que l'armée allemande progressait, le moral des troupes était bon. Mais dès qu'elle a commencé à battre en retraite, notamment en Russie, alors des craintes ont commencé à apparaître. On craignait d'être fait prisonnier. De fait, la guerre avait déjà basculé quand nous avons été défaits sur le front de l’est.

À quel moment avez-vous pris conscience que la guerre était perdue ?

C'est en avril 1945. On livrait encore une offensive contre les Russes à cette époque. On était parti de Fürstenwalde, dans l’est de l’Allemagne, et je survolais la ligne de front à basse altitude avec mon avion. Pour moi, il était très clair qu’en dessous, ces hommes vivaient un enfer. Et lorsque je suis revenu, le clocher de Fürstenwalde était déjà en feu. Au final, tout le monde voulait s'en sortir vivant. On a toujours eu l’instinct de survie, ce qui parfois signifiait que c'était nous ou les autres. La guerre est la pire chose qui puisse arriver à l'humanité. Et plus elle dure, plus les esprits se radicalisent.